Un poème de métro
Sache bien où ça va dans le tunnel.
Ça va vers la lumière. Un enfant dort au creux des trois côtés de sa mère,
les cuisses, la poitrine et la sangle des bras fermée aux mains par des bijoux.
Ce tableau est un pur bisou. La femme est Indienne, une amande peinte,
rouge et or, un buisson ardent, flamme montant au front à partir de la racine du nez,
les cheveux noirs, noirs. Une accordéoniste est montée pour “Frère Jacques...”.
Mais il dort déjà, le frère, qui ne peut pas s’appeler Jacques.
J’irais volontiers jusqu’aux lieux d’habitation de son rêve pour lui lire "Aymerillot” ou “Le cimetière d’Eylau”,
lui offrir un combat à comparer avec ceux du Ramayana.
Mais il est descendu à Campo-Formio.
Je sais où ça va. Pas de surprise.
Toujours ça va par les rues, sous les rues, au-dessus des rues, vers une habitation,
là où on habite, s’habitue à habiter, médite.
Jacques Jouet, Poèmes de métro, (éditions POL), 2000
Qu’est-ce qu’un poème de métro ?
J’écris, de temps à autre, des poèmes de métro. Ce poème en est un.
Voulez-vous savoir ce qu’est un poème de métro ? Admettons que la réponse soit oui. Voici donc ce qu’est un poème de métro.
Un poème de métro est un poème composé dans le métro, pendant le temps d’un parcours.
Un poème de métro compte autant de vers que votre voyage compte de stations moins un.
Le premier vers est composé dans votre tête entre les deux premières stations de votre voyage (en comptant la station de départ).
Il est transcrit sur le papier quand la rame s’arrête à la station deux.
Le deuxième vers est composé dans votre tête entre les stations deux et trois de votre voyage.
Il est transcrit sur le papier quand la rame s’arrête à la station trois. Et ainsi de suite.
Il ne faut pas transcrire quand la rame est en marche.
Il ne faut pas composer quand la rame est arrêtée.
Le dernier vers du poème est transcrit sur le quai de votre dernière station.
Si votre voyage impose un ou plusieurs changements de ligne, le poème comporte deux strophes ou davantage.
Si par malchance la rame s’arrête entre deux stations, c’est toujours un moment délicat de l’écriture d’un poème de métro.
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